
La Saga des Pen Duick
C'est l'architecte Michel Joubert qui raconte l'anecdote. "J'étais plongé avec Bernard Nivelt dans l'étude du maxi Cote d'Or pour la Whitbread 1985. Eric Tabarly suivait de prés l'avancement du projet. Un jour, il nous demande s'il n'y aurait pas un bon coup à jouer en adoptant un gréement de ketch. Avec Bernard, on s'est regardé discrètement l'air de dire: "Qu'est-ce qu'il nous raconte là? Il n'est vraiment plus dans le coup..." Depuis le grand Flyer de Frers, tous les maxis étaient gréés en sloop, et personne ne vouait de raisons pour que ça change. Quatre ans après cette réflexion, il n’y avait plus que des ketchs sur la ligne de départ de la course autour du monde, y compris le bateau du vainqueur, Peter Blake... A ce moment-là, j'ai compris ce qui faisait le génie d'Eric Tabarly: ce côté visionnaire qu'aucun autre coureur n'a eu comme lui."
Même s'il n'a pas toujours eu les moyens d'aller au bout de ses intentions, étant parfois trop en rupture avec les mentalités de son temps, le skipper des Pen-Duick a en effet concrétisé un nombre impressionnant d'idées neuves. Elles ne venaient pas toujours de lui, évidemment. Le contreplaqué qui allait faire les beaux jours de Pen-Duick II avait été popularisé dans la décennie précédente par Jean-Jacques Herbulot. Grâce aux ateliers de la SEAN ou aux chantiers de La Perrière, les mérites de la construction alu étaient connus avant Pen-Duick III et les Anglo-Saxons goûtaient déjà les attraits du multicoque alors que Pen-Duick IV était encore dans les limbes. Le Monitor, enfin - qui allait inspirer l'Hydroptère - montait déjà sur ses foils dès le début des années cinquante. Et c'est précisément là qu'il faut voir l'apport le plus essentiel d'Eric Tabarly. Dans cette capacité à faire fructifier des pistes déjà ébauchées, en les enrichissant de sa propre réflexion. Suffisamment passionné par l'histoire maritime pour ne rien en ignorer, il a su faire appel à un patrimoine technologique "laissé en jachère" par ses contemporains. Il a pu s'appuyer pour cela sur un pragmatisme à toute épreuve et une expérience qui est vite devenue unique dans le monde de la voile. Avec, en prime, un ingrédient déterminant dans le succès de ses entreprises : une audace intellectuelle autant que physique qui lui permettait de ne reculer devant aucun projet, aussi iconoclaste soit-il. Ce non conformisme vis-à-vis des choses de la mer, il n'a pas été long à en donner des gages!
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